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Travestissements & Nouveau Prologue

    « La troupe est allée à Versailles par ordre du Roi, où on a joué le Favori dans le jardin, sur un théâtre tout garni d’orangers. Mr de Molière fît un prologue en marquis ridicule qui voulait être sur le théâtre malgré les gardes, et eut une conversation risible avec une actrice qui fit la marquise ridicule, placée au milieu de l’assemblée . »

    Lagrange, Registre de la troupe, vendredi 12 juin 1665


    A l’époque, Molière avait écrit un prologue aujourd’hui perdu, qui créait de l’interactivité avec le public, en le replaçant au cœur d’un rituel festif, carnavalesque, où tout devenait possible. Le nouveau prologue vient rompre à son tour les frontières scène/salle, acteurs/spectateurs, passé/présent… et introduire cette théâtralité baroque, encore très active dans Le Favori, malgré son classicisme apparent.

    Sa source

    Il s’inspire d’une correspondance entre Marie de Médicis et le comédien Arlequin de Mantoue, étonnante de drôlerie et d’impertinence, conservée dans les archives de Mantoue. Il raconte les péripéties habituelles que rencontraient les troupes de l’époque, en traversant toute l’Europe pour jouer dans les différentes cours royales. Il est aussi l’occasion de mettre en dialogue, sur un mode ludique, les jugements et témoignages de l’époque concernant Mme de Villedieu et son œuvre.

    Pièce maîtresse du théâtre dans le théâtre, il fera habilement participer le public à cette performance inédite qui consiste à rejouer aujourd’hui Le Favori de Mme de Villedieu. Il débouchera ainsi sur l’audition d’un spectateur pour les rôles du Page et du Chef des gardes.

    L’art du travestissement

    Sous forme de clin d’œil parodique, comme l’a fait Mme de Villedieu dans ses romans, ce prologue sera l’occasion de subvertir les codes de genre en renversant les modes de jeu traditionnels du théâtre classique : les personnages du roi et de Don Alvar seront tenus par des comédiennes, qui réclameront le droit à interpréter des hommes.

     

    Ce sera l’occasion, via l’ambiguïté inhérente à ce type de jeu, de transposer sur scène la « féminisation » des corps opérée par Louis XIV: le roi est devenu le seul sujet d’adoration, d’où sa concurrence dans la pièce avec Lindamire, et il travaille à « déviriliser » ses courtisans. Il n’est guère surprenant que cette pièce, qui vient « clore » l’affaire Fouquet en marquant la reprise en main du pouvoir par Louis XIV sur ses ministres, ait été confiée à une femme, validant ainsi, de façon spectaculaire, la féminisation de la fonction dramaturgique en même temps que celle de la fonction courtisane…

    Aurore Evain

     

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