IIIème siècle av. J.-C., à Buthrote, capitale de l’Épire, entre la Grèce et l’Albanie
“Nérée et sa soeur Laodamie sont les seuls restes du sang royal. Nérée épouse Gélon, fils du roi de Sicile, et Laodamie est massacrée, dans une sédition populaire, aux pieds de l’autel de Diane, où elle s’était réfugiée”.
Ce sont les seuls mots conservés par l’Histoire à propos de Laodamie. L’autrice les découvre chez l’historien romain Justin et s’en empare.
En plein absolutisme, alors que l’Europe est mise à feu et à sang par les conquêtes militaires de Louis XIV, Catherine Bernard, pour sa première tragédie, choisit donc de mettre en scène une reine oubliée, contrainte au mariage par son peuple.
A une époque où les reines sont des victimes larmoyantes ou des meurtrières assoiffées de pouvoir, choisir une souveraine telle que Laodamie est exceptionnel. Car, malgré sa passion pour le prince Gélon, elle sait rester une dirigeante loyale et soucieuse de son État.
Alors que le pays est menacé d’invasion, sa légitimité à régner ne lui permet pourtant pas d’échapper au diktat de son peuple qui réclame un dirigeant mâle. Catherine Bernard expose ici clairement le conflit entre gynécocratie et patriarcat : quand on naît femme, les compétences ne suffisent pas pour gouverner.
Un dilemme entre amour et devoir qui en cache un autre, sans doute le conflit dramatique le plus original du théâtre classique : Laodamie est tiraillée entre son amour pour Gélon et sa profonde affection pour sa sœur, Nérée, à qui il est promis. L’une comme l’autre sera prête à sacrifier son bonheur personnel pour la paix du royaume. A l’inverse, Gélon, que le peuple, paradoxalement, veut sacrer roi, préfère son amour pour la princesse au pouvoir.
En représentant deux sœurs rivales en amour mais non moins amies, l’autrice met en lumière la solidarité des relations féminines, habituellement réduites à un rapport de jalousie et de rivalité. Avec ce triangle amoureux formé par Laodamie, sa sœur Nérée, et leur amant Gélon, la subversive Catherine Bernard renverse les constructions masculines et féminines de l’héroïsme.